Variations / confiture d'abricot
1
Elle lève le bras vers la porte du placard du haut pendant que les tranches de pain complet dorent dans le toaster. Elle hésite entre les bocaux entamés : mûre du supermarché, la gelée de vanille d’Anne-Sophie Pic, les prunes de l’an dernier, l’abricot de la Drôme ? Elle craque encore pour la gelée de vanille. Sur la table, près du set, la cafetière pleine d’un café aromatique, le bol à pois rouge de Bretagne, elle pose les avant-bras et saisit le pot avec gourmandise, dévisse le couvercle, plonge de la main droite la petite cuillère qu’elle remplit largement pour l’étaler en couche épaisse sur le toast encore tiède qu’elle tient de la main gauche qu’elle soulève presque sous les narines pour en humer la subtile odeur de vanille. Et mord.
2
Sur la terrasse qui garde la fraîcheur de la nuit, ils arrivent un par un autour de la table du petit déjeuner. Profusions de jus de fruits, de baguette croustillante, de lait, de confitures. Comme tous les matins les cousins se bousculent, se poussent du bras, réclament. On se bat pour la confiture d’abricot. Le pot est presque vide : c’est encore Nathan qui s’est goinfré en douce cette nuit. Et justement, ce matin, on n’aime pas la cerise, on ne veut pas de chocolat. Valérian a kidnappé le pot et plonge le doigt sur les parois. Léo s’en empare, le pot roule sur le carrelage. Le drame.
3
Seul dans son studio, il parcourt les appli de journaux, les derniers posts sur Facebook, debout devant la cafetière Nespresso. Pose ses fesses sur le tabouret, attrape sans regarder un bocal sur le plan de travail et tartine un petit pain rond, l’œil rivé sur l’écran. Tiens, abricot, le pot offert par Assia la dernière fois. Sucrée et acidulée, comme Assia. Il sourit, les yeux dans le vague.
4
Elle se souvient des journées d’été chez sa grand-mère. Les oreillons dorés et juteux baillaient dans une bassine. Les bocaux chauffaient dans le stérilisateur pendant qu’elle découpait des ronds de papier blanc, des ronds de la circonférence du bocal, que l’on plongeait ensuite dans le kirsch, et d’autres plus grands que l’on ficellerait sur les bords. Adeline prendrait des étiquettes et de sa belle écriture penchée, elle écrirait « abricots » et l’année. Dans la cuisine flottait l’odeur sucrée des fruits mêlée aux vapeurs d’alcool, les notes entêtantes du kirsch imprégnait ses doigts. Les bocaux se remplissaient. Elle goûte encore sur sa langue la viscosité sucrée de la mousse encore chaude que l’on avait enlevée avec l’écumoire.
5
Normandie, un gîte pour un week-end. Et retarder encore un peu l’arrivée sur le port de Honfleur. Le rituel de début septembre. Réveil bucolique. Ces femmes reconverties qui ouvrent des gîtes. Des citadines, des profs, des comptables. Converties à l’odeur des draps propres, aux brins de lavande glissés dans des sachets de toile brodée, au pain maison, aux homemade jams, you’re welcome. Converties à la religion de « l’authentique », du rustique. Ces femmes l’attendrissent. Elle sait bien que cela ne durera pas longtemps. Le ménage, les lessives, les fourneaux, et les récriminations des touristes, ça n’a rien de la transcendance ni des nourritures spirituelles. Sur la nappe saumon tendre, elle saisit le pot de confiture, le penche vers elle, le regarde par habitude, abricot. Elle va en mettre sur les morceaux de croissant qu’elle avale l’air absent. Ça dégouline lentement sur la nappe. Elle n’en a cure.
6
Il pousse son chariot dans les travées. Sans hâte. Il est entré pour la clim, pour échapper à la touffeur de cette journée. Des caddies remplis à ras bord le doublent, des bras se tendent juste sous son nez. Des enfants pleurnichent devant les friandises rangées exactement à leur portée. Il gêne, avec son grand chariot presque vide, si ce n’est pour un pack de bières et des lames de rasoir. Une palette le bloque devant les confitures. Il sourit à l’employé qui défait les cartons. Pour se donner une contenance il lit les étiquettes, sourcils froncés. Confiture au chaudron, confiture à l’ancienne, marmelade thick cut, confit de coquelicot, gratte-cul. La tête lui tourne. L’employé s’impatiente. Il tend la main au hasard : un gros pot de confiture d’abricot, sa préférée. Maintenant il peut se diriger vers la caisse 10 articles. Il se sent épuisé.
7
Charmaine ouvre les yeux. Elle a entendu un bruit dans la maison. Son cœur s’emballe. Elle ne s’est jamais bien remise du cambriolage du mois de décembre dernier. Mais l’espace à sa gauche est vide. Alex n’est plus là. Peut-être est-il descendu surprendre l’intrus. Et si celui-ci était armé ? Charmaine se recroqueville sous la couette, elle tend l’oreille. Ne pas appeler, ne pas bouger. L’écran du téléphone brille dans le noir, elle le saisit, quel numéro pour la police ? le 15, le 18, le 12 ? Tout s’embrouille. Une porte grince au rez-de-chaussée, un choc mat sur une surface. Elle n’y tient plus, elle pose son pied nu sur le parquet. Quelques lattes couinent mais elle sait les éviter. En bas un filet de lumière filtre de la porte entrebâillée qu’elle écarte prudemment. « Entre ! Tu ne dors pas ? Ta confiture d’abricot de cette année est une réussite ! »
8
Je déteste les buffets au petit-déjeuner dans les hôtels, toute cette débauche de fruits, de salades, de charcuterie, de fromages, de petits pains ronds, de pain de seigle, pancakes, cracottes, céréales, muesli, porridge, weetabix, chocopops, pain des fleurs quinoa, croissants, brioches, brownies, tartes salées, œufs brouillés, rarebits, œufs à la coque, blancs, rouges, miel de montagne, sirop d’érable, et ces petites dosettes ridicules de confiture près du panier plein de petites portions de beurre, de margarine, omega 3, vous complèterez vous-même ! J’ai des goûts simples : un grand bol de café noir, une demi-baguette croustillante beurrée et de la confiture d’abricot. Et ma première cigarette, mais même ce petit plaisir nous est interdit dans les salles des hôtels. Si bien que je m’arrange pour trouver une chambre pas très loin d’’un café et je file dès ma note réglée m’installer tranquillement à sa terrasse. Vous me reconnaîtrez.
9
Les amandes d’abricot sont hautement toxiques. Elles entraînent des empoisonnements au cyanure. Elle a réfléchi à tout cela depuis longtemps, depuis des années en réalité. Tous les ans elle sort le grand chaudron de cuivre et prépare 8 pots de confiture d’abricots. Son mari, tous les ans la complimente. Elle a appris à varier les recettes : abricot vanille, abricot menthe, abricot pistache. Cette année, elle est prête. Le sachet d’amandes bien rebondi est posé près de l’écumoire et du thermomètre. Elle fera cela dans les règles de l’art.
10
Amaretti and apricot fool :
· 24 apricots, large, stoned and halved
· 2 tbsp of caster sugar
· 12 tbsp of crème fraîche
· 6 tbsp of apricot jam
· 24 amaretti biscuits
Preheat the oven to 200°C/gas mark 6
Place the prepared apricots in an oven-proof dish and sprinkle the sugar over the top with a little water, about 4 tablespoons. Bake/roast for 15-20 minutes, or until the fruit is soft and has just started to collapse but still retains its shape. Allow to cool
Crumble 2 amaretti biscuits into the bottom of each serving bowl, and then make the fool. Stir the apricot jam through the crème fraîche so it is marbled - do not over mix
Spoon the apricot and crème fraîche fool mixture over the amaretti biscuit crumb base and then top with the cooked apricots, layering them if necessary
Just before serving the desserts, crumble the remaining amaretti biscuits over the top of the apricots and serve straight away with a glass of dessert wine and a bowl of extra crème fraîche or cream
Codicille : l’idée de la confiture d’abricot est venue d’un pari au petit déjeuner. En récompense je vous offre la recette du apricot fool. Proposition joyeuse, je dois dire.
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