à la manière de ... Madame de Sévigné
Je ne sais en quelle disposition vous serez en lisant cette lettre. Le hasard peut faire qu'elle viendra mal à propos, et qu'elle sera peut-être lue de la manière qu'elle est écrite. À cela je ne sais point de remède.
J'ai passé ici le temps que j'avais résolu, de la manière dont je l'avais envisagé. Je me doutais bien que nos solitudes - ou les distances qui les séparent - feraient surgir de nos esprits le meilleur de ce qu'ils peuvent concevoir. Je me doutais bien que le commerce dont on prend soin de huiler les rouages nous porterait vers davantage d'amitié. Je me doutais bien aussi que je regretterais de ne point voir vos visages, et de ne point entendre vos voix.
Voilà donc, mes très chers, ce qu'il en est de mes dispositions présentes. Il me prend quelquefois l'humeur de remonter les fleuves et d'élucider le mystère de leur source. Mais, las, ainsi que le Danube - ou la Loire voisine - une fois atteint ce que l'on prétend être le lieu où sourd l'eau pure, on fait un pas et puis un autre, et voilà que ces maigres rigoles se multiplient et qu'on se tient là, tout ébaubi, devant l'énigme à nos pieds. Le fleuve si large et si majestueux dégoutte ainsi qu'un tuyau de gouttière une fois l'orage apaisé: un minuscule ploc, ploc assure qu'il ne s'est pas tari. Mais tout soudain c'est la magie qui nous menait qui, elle, s'est tarie. J'ai beau tourner, j'ai beau chercher, ma tête et mon esprit se creusent... mais de quelque façon que j'y songe, tout m'échappe. Et je me sens toute extravaguée.
Ainsi donc des disparitions et des apparitions.
Les fleuves coulent sans nous mais ils acceptent de nous prêter leur dos. Nous flottons comme débris ou bouchons de liège. Et nos desseins en sont tout récurés. Ce que l'on a vu couler sous les rebords de la cascade réapparait plusieurs lieues plus bas. Et nous savons alors que rien n'est vraiment perdu.
Vous me mandez la raison de cette épître, mes beaux amis. Et vous craignez que je radote. N'ayez souci de moi. Toute votre sagesse ne m'empêcherait pas de vous faire voir toute ma folie. Mais n'ai-je pas raison de songer sur la rive du temps? Nous nous tenons sur le seuil de nos apparitions, dans l'ombre de nos obscurités. L'iridescence et la ténèbre se combattent et s'étreignent.
On passe les heures creuses du dimanche à radoter, et voilà que nos amis se lassent. Adieu donc, jusqu'à demain. Et pardonnez mes verbiages.
Madame de ..., votre humble amie.
©lil 2004
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