cameo




 Ils sont assis, dos à dos sur le muret qui borde le bassin, les jambes repliées, chacun absorbé, l’un, disons lui, par la lecture d’un livre, peut-être un guide du pays où ils se trouvent, l’autre, et donc elle, oisive, les yeux dans le lointain, les bras posés sur les genoux, les mains croisées, l’un et l’autre parfaitement immobiles. Ils sont là depuis longtemps, disons que le temps a passé suffisamment pour qu’un certain nombre de piétons les aient vu apparaître et disparaître au fil de leur déplacement et en aient gardé comme une photo fugace, une impression qu’ils emportent avec eux comme un éclat de sourire, une légèreté qui imprégnera le reste de la journée. Leurs sacs à dos sont posés à leurs pieds. Au-dessus d’eux, le jet d’eau de la fontaine perpétue son jaillissement qui s’épanouit en éventail irisé. Ils sont comme nimbés par cette queue de paon inversée dont ils sont inconscients. Personne ne pense qu’ils se tournent le dos ; au contraire, ils s’abandonnent l’un à l’autre, se fiant totalement à l’appui qui les soutient, soudés, une symétrie parfaite en miroir de l’eau qui retombe de chaque côté du bassin. On dirait une allégorie. Lui, le regard baissé sur les mots du livre, elle, les yeux tournés vers l’infini. Nul besoin d’imaginer leur histoire, leur attitude dit déjà tout, tout ce qui fut le prélude à cet instant de perfection dont ils resteront ignorants mais dont ils auront offert la vision au passant. Un instant fugace dont leur corps gardera la trace. 

 

Elle se souvient du moment du départ, du moment de la séparation quand chaque kilomètre qui s’ajoutait aux kilomètres déjà parcourus était comme une déchirure dans son dos, un arrachement qui mettait ses os à nu, ou plutôt qui la laissait vulnérable après qu’on lui eut volé sa coquille, ou ses ailes, la chair à vif, tout au long du parcours qui n’en finissait pas. 

©lil

 

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