Thiérache

 Une région naturelle, comme on disait un enfant naturel. Naturel voulait dire caché, sans son vrai patronyme. Et de le voir là, ce mot de Thiérache, en fait la petite Thiérache, ceinturée par d’autres tout aussi familiers, ça faisait renaître tout un pan de passé. Un grand pan oblique, comme ces longs toits d’ardoise des granges, occultés par les nappes de brouillard. Un mot tellement occulté, lui aussi, qu’il était devenu le sceau d’un royaume caché. Le pays qui n’existe pas. Elle disait je suis des limes, des marches, ni d’Ardennes, ni de Champagne, ni du Hainaut, ni vraiment de Picardie. Elle disait je suis Thiérachienne, comme un défi, comme une espèce disparue. « Roi ne suis, ni prince, ni duc, ni comte aussi. Je suis le sire de Coucy. » Bravache comme cet Enguerrand, avanpilète, auraient-ils dit. Elle disait je suis née dans un pays de brume et de boue, à l’ombre des remparts et des grands porches voûtés des pigeonniers. Là-bas, la langue était grasse comme l’herbe du bocage. On mangeait des ratons, des flans al’balosse et des tartrons dont on se rapapinait. Elle avait ravalé tous les mots de son enfance. C’était arrivé tout naturellement. 


Commentaires

Articles les plus consultés