rivières de vent, rivières de paroles
Un voyageur qui s'attarde dans la petite ville de Zephyros apprend à retrouver son chemin dans le dédale des rues de bien étrange manière. La ville est parcourue en toute saison de coulis plus ou moins âpres qui se faufilent selon des axes variables au gré des vents qui, soit descendent les parois glacées de la montagne du Nord, soit arrivent du large, à l'horizon de la mer de l'Est qui s'alanguit dans le golfe sablonneux. Les habitants, au fil des siècles, ont appris à tirer profit de ces courants d'air pour ajouter une note particulière au plaisir de vivre dans Zephiros. Au printemps, quand les vents de la mer chargent l'air de particules humides, chaque façade se couvre ici de jasmin, là de roses de Damas, là de lilas, si bien que les habitants ont négligé de donner un nom aux rues: ils les parcourent, les narines dilatées, hument les senteurs portées aimablement par les souffles aériens, au point que l'on peut parfois deviner l'adresse de certains au parfum qui l'imprègne. Les courants glacés de la montagne, l'hiver, tranchent la ville comme des lames acérées. On se couvre alors de gros manteaux ouatés et de bonnets fourrés et l'on se réfugie dans les places secrètes qui échappent au museau froid de la bise. Les rues alors se métamorphosent car les habitants allument des braseros piqués de brins d'encens: girofle, orange, musc, yang-ylang... Une fois l'an, le jour de Windfall, une étrange cérémonie occupe la population. Femmes et hommes tendent de longs rubans colorés le long des rues qui forment ainsi un tissage au motif compliqué et les enfants penchés aux fenêtres y lancent des papiers pliés où ils ont écrit tous les mots qui les ont enchantés dans l'année, y compris ceux qu'ils ont inventés. Le vent qui fait onduler les bandes de toile les emporte jusqu'à la berge où la rivière de paroles vient s'écouler dans un grand bassin où les soirs de fatigue l'on viendra pêcher un peu de poésie.
Commentaires